Un enfant des temps modernes

Photo Willy Ronis Regardez ces charmantes têtes brunes et blondes sagement alignées derrière leur petit bureau, dans leur salle de classe, un après midi de printemps. Observez avec quelle application ils tracent de leur stylo vert une ligne sous un mot choisi par la maîtresse. Avec quelle abnégation ils répondent au besoin de cet adulte de faire bien, d’être soigneux et cela à l’encontre même de leur nature. Vous êtes vous réellement, un jour, occupé d’un enfant ? Avez vous laissé son enthousiasme se propager et vous gagner peu à peu dans un jeu aux règles incertaines ? L’avez vous laisser glisser sa main dans la vôtre et vous entraîner dans un endroit choisi de lui seul ? Avez vous entendu le secret qu’il vous a glissé à l’oreille ?

Ce n’était certainement pas une invitation à s’enfermer à 30 dans une salle pour répondre à une exigence de sociabilisation disciplinée. L’enfant est, par essence même, une boule d’énergie enthousiaste dont le seul besoin est de s’amuser d’un rien, de partager ce qu’il découvre de la vie, d’être écouté et d’entendre sa dose d’enseignement selon sa motivation du jour. Il a besoin d’être considéré et qu’on lui mette à disposition un temps infini pour lui tenir compagnie. Nous sommes ses compagnons de Vie, de jeu, du quotidien. Nous l’orientons à chaque instant vers les choix qui lui sont accessibles. Chaque minute lui est précieuse, lui qui en a si peu au compteur. Chacun de nos « on se voit ce soir » est pour lui un gouffre qui l’éloigne toujours plus du monde des adultes. Redoute t-il d’y accéder un jour ? A t-il abandonné l’idée de nous comprendre ?

Ou se résigne t-il à ce fossé qui nous sépare : nous dans notre monde d’adulte négligeant son passé d’enfant négligé, lui dans son monde d’enfant à qui on impose dès le plus jeune âge (3 mois!) ce rythme infernal du levée aux aurores jusqu’au coucher de soleil, ces étrangers qui s’occupent de lui successivement pour pallier l’absence ‘obligatoire’ du parent trop occupé à ‘gagner’ l’argent du foyer. Quelle représentation de nos Vies se fait cet enfant là, observant derrière la vitre de sa salle de classe son parent qui s’enfuit vers sa voiture, qui s’éloigne de lui pour plonger dans cet inconnu, forcément plus intéressant que de regarder grandir cet enfant, à ses côtés, et lui apprendre soi même ces compétences qu’il acquièrera grâce à l’autoritarisme de ‘professeurs’, de ‘professionnels’, de personnes rémunérées pour faire le travail de parents à notre place.

Cet enfant qui se sociabilisera avant même de se familiariser avec sa famille. Cet enfant qui apprendra d’avantage éloigné de ses proches qu’en leur compagnie. Cet enfant qui vivra, pleurera, évoluera loin de ces adultes chargés de responsabilités et pressurisés par des projets aux délais irréalisables. Cet enfant, c’était moi, c’était vous.

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