NUCLÉAIRE, DÉBATS PUBLICS, DÉGATS PUBLICS
Françatomique et débat public
La France est le pays le plus nucléarisé au monde en termes de puissance électronucléaire par habitant. Cette situation, héritée de choix politiques du siècle dernier, a des conséquences très importantes sur le fonctionnement de la démocratie. Tout débat à ce sujet est extrêmement difficile à mener : les forces en présence sont très inégales, les constats sont difficiles à établir puis à partager et l’utilité même des débats est remise en cause par « le fait du prince ». Mais si le constat sur la situation actuelle est très contrasté, entre ceux qui en profitent et ceux qui la subissent, une évidence historique saute aux yeux.
Elle est toujours d’actualité et a été rappelée par l’Encore Président de la République (EPR !), lors de son discours à l’usine Framatome du Creusot, le 8 décembre 2020 : « Sans nucléaire civil, pas de nucléaire militaire, sans nucléaire militaire pas de nucléaire civil ».
Comme le président Macron est favorable aux deux, il a décidé de prolonger « tous les réacteurs nucléaires qui peuvent l’être », de « lancer un programme de nouveau réacteurs nucléaires » et de maintenir le nucléaire militaire comme « pierre angulaire de notre autonomie stratégique ». Il l’a annoncé dans plusieurs discours et notamment celui du 10 février 2022 à Belfort.
Dans un pays démocratique, de telles décisions ne devraient pas être permises. Elles sont du ressort toutes les personnes concernées, c’est-à-dire a minima de l’ensemble des habitants du pays. Pour qu’ils puissent se prononcer il manque un bilan exhaustif des conséquences sociales, environnementales et sur les finances publiques de plus de 50 années de nucléarisation du pays.
Pour en masquer l’absence et organiser quoiqu’il en coûte la « relance » du nucléaire en France, concertations publiques, débats publics, enquêtes publiques s’enchaînent. Le prochain débat public prévu concerne le projet d’EDF de construire une paire d’EPR sur le site déjà fortement nucléarisé du Bugey. Il devrait se dérouler entre le 28 janvier et le 15 mai 2025.
On peut, à juste raison, le considérer comme une simple procédure administrative et technocratique dont le principal objectif est de permettre à EDF de respecter une obligation légale. On peut cependant en profiter pour exposer publiquement quelques faits qui montrent que les choix présidentiels ne sont fondés ni sur une démarche digne d’un pays moderne et démocratique, ni sur la connaissance de la situation réelle du pays au regard des critères qui ont servi à justifier ces choix.
Indépendance énergétique de la France et production d’électricité nucléaire
Dans un monde où l’économie est mondialisée et où les interdépendances entre pays sont nombreuses, on pourrait considérer que l’indépendance énergétique est une préoccupation dépassée. Mais une faible indépendance énergétique est source de fragilité, notamment pendant les périodes de fortes tensions géopolitiques.
C’est donc un argument majeur utilisé pour justifier le programme électronucléaire français, décidé au début des années 1970, et utilisé à nouveau par l’actuel président de la République.
« En générant plus de 41 % de l'énergie en France, le nucléaire nous rend autonome ». C’est ce qu’indique le site de l’Elysée en introduction de la retranscription du discours du Président Macron au Creusot, le 8 décembre 2020.
Selon la ministre de la transition énergétique Agnès Pannier Runacher, auditionnée par l’Assemblée Nationale le 13 septembre 2022, l’indépendance énergétique de la France serait obtenue grâce à des approvisionnements en uranium diversifiés et à la maîtrise technologique par la France de l’ensemble de la chaîne de transformation de l’uranium en « combustible » et de son « retraitement ».
Ce que disait le Président de la République lors de son discours est cependant un peu plus flou : « Nous avons fait le choix du nucléaire en 1973 pour gagner en indépendance énergétique et contrairement à certaines voix que j'ai pu encore entendre récemment, la France n'a pas tout mal fait dans son passé.».
L’Agence de la transition écologique (ADEME), établissement public à caractère industriel et commercial sous tutelle de trois ministères, indiquait quant à elle, dans un document d’octobre 2022 à destination du grand public, que « Les énergies importées représentent encore aujourd’hui 81 % de la consommation d’énergie finale de la France ». Autrement dit, l’indépendance énergétique de la France rapportée à la consommation d’énergie finale serait de 19 %.
Face à de telles divergences il est légitime de s’interroger sur l’indépendance énergétique réelle de la France.
Une explication, en forme d’aveu, se trouve dans une publication de janvier 2022 du Ministère de la transition énergétique, "Bilan énergétique de la France pour 2020" :
" Dans le cas de la France, qui a recours intégralement à des combustibles importés (utilisés directement ou après recyclage), le taux d’indépendance énergétique perdrait 40 points de pourcentage, pour s’établir à 14 % en 2020, si l’on considérait comme énergie primaire le combustible nucléaire plutôt que la chaleur issue de sa réaction."
Considérer les combustibles fossiles importés comme une énergie primaire importée, même si leur combustion se fait en France, c’est ce que fait l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE). Il devrait faire de même pour les « combustibles » nucléaires dès lors que l’uranium nécessaire à leur production est entièrement importé. Mais pour l’énergie nucléaire un double langage est officiellement possible. Il produit une « vérité alternative », c’est-à-dire un mensonge, qui dure depuis des décennies.
En approfondissant le sujet on peut d’ailleurs trouver des informations qui aggravent encore le constat.
En 1973, avant le lancement du programme de construction des réacteurs nucléaires actuellement en service en France, le taux d’indépendance énergétique réel était de 23,9 %.
En 2020 il était de 14,0 % (comme l’indiquait en 2022 le Ministère de la transition énergétique).
Entre 1973 et 2020, le taux d’indépendance énergétique réel de la France a donc été divisé par 1,71.
Le choix du nucléaire, fait en 1973 « pour gagner en indépendance énergétique », a donc conduit au résultat inverse. En dépit de cet échec flagrant le président Macron a décidé de poursuivre dans la même voie.
Résistance à la Françatomique et débat public
Un débat public est en cours sur le projet d’EDF de construire une paire d’EPR à Gravelines dans le Nord. C’est une obligation légale pour ce type de projet. EDF a donc demandé à la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) de l’organiser, ce qu’elle fait du 17 septembre 2024 au 17 janvier 2025.
Plusieurs organisations opposées au projet (Greenpeace, le Réseau Homme et Nature 59/62 Association Régionale Nord-Pas de Calais du Mouvement National de Lutte pour l’Environnement, l'ADELFA ou Assemblée de Défense de l'Environnement du Littoral Flandres Artois, le Groupe Environnement Santé Flandre, Virage Energie, etc.), ont publié des études, des tribunes, des communiqués, des « cahiers d’acteurs », etc.
Quelques medias (Lille Actu, Mediapart, Ouest France, Reporterre, ...), dans lesquels la critique du nucléaire est encore possible, ont relayé une partie de leurs messages. Une pétition à l’initiative du « Collectif régional Stop EPR Hauts de France » est en ligne sur Greenvoice, plateforme de pétitions créée et gérée par Greenpeace.
La CRIIRAD a également préparé un dossier, à paraître en décembre 2024, sur les risques du projet d’EPR à Gravelines. Elle l’a présenté sommairement dans sa lettre mensuelle aux adhérents de novembre 2024.
De leur côté, 1 178 scientifiques ont signé un appel contre un nouveau programme nucléaire. Alors que plusieurs débats publics sur les projets de construction de nouveaux réacteurs nucléaires sont en cours ou en projet, il est utile d’en rappeler l’existence et la conclusion : « nous, femmes et hommes scientifiques, médecins, enseignants, ingénieurs, universitaires et chercheurs lançons cet appel à refuser tout nouveau programme nucléaire.
A un choix imposé qui engagerait notre avenir sur le très long terme, nous opposons la nécessité d’élaborer démocratiquement et de manière décentralisée, à partir des territoires et des besoins, des propositions de rupture pour des politiques de sobriété, de transition énergétique, et de justice écologique. ».
POUR PLUS D'INFORMATIONS
Collectif national Arrêt du nucléaire
http://collectif-adn.fr/index.html#deluge
Points de vue sur l’indépendance énergétique et la politique électronucléaire de la France
https://blogs.mediapart.fr/francois-vallet/blog/081222/points-de-vue-independance-energetique-et-politique-electronucleaire- de-la-france
Appel de 1 178 scientifiques, médecins, enseignants, ingénieurs, universitaires et chercheurs contre un nouveau programme nucléaire
https://appel-de-scientifiques-contre-un-nouveau-programme-nucleaire.org/
Pétition « Non aux EPR2 à Gravelines : danger pour les habitants et les générations futures »
https://agir.greenvoice.fr/petitions/non-aux-epr2-a-gravelines-danger-pour-les-habitants-et-les-generations-futures
Communiqué de la CRIIRAD du 19 novembre 2024 « À Gravelines, les risques sont-ils correctement évalués ? »
https://www.criirad.org/19-11-2024-a-gravelines-les-risques-sont-ils-correctement-evalues/
Observatoire du nucléaire – Actualités du nucléaire - Automne 2024
https://www.observatoire-du-nucleaire.org/IMG/pdf/actus-du-nucleaire-automne-2024.pdf
Liège décroissance - Un battage médiatique dangereux : les mensonges nucléaires des GAFAM
https://liege.decroissance.be/nuc/h/M.V.Ramana_Les-mensonges-nucleaires-des-GAFAM_2024.html
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