Bataille de Sidi Brahim : “Monsieur le maire, madame la première adjointe“

Nous publions la lettre de Laurent Ripart, professeur au département d’histoire de l’Université Savoie Mont Blanc Ancien conseiller municipal (Npa) de Chambéry “Monsieur le maire, madame la première adjointe de la ville de Chambéry à propos de la participation de la ville aux commémorations de la bataille de Sidi Brahim. À l’occasion du 140e anniversaire du 13e BCA, la ville de Chambéry a accueilli le vendredi 7 octobre 2022 une cérémonie de commémoration de la bataille de Sidi Brahim, qui a eu lieu place du palais de justice. Vous avez ainsi pu assister à la célébration des combats livrés en septembre 1845 par le lieutenant-colonel Montagnac et ses chasseurs contre les troupes d’Abd el-Kader, tout en entendant les enfants de collèges de l’agglomération chanter « la chanson de Sidi Brahim », un chant aux paroles pour le moins bellicistes, puisque son refrain se conclue par « mort aux ennemis de la France » et que les troupes arabes y sont qualifiées de « horde sanguinaire ». J’attire votre attention sur le sens de la commémoration de cette bataille, qui célèbre la conquête française de l’Algérie, un événement dont les historiens ont mis en évidence l’extrême violence, longtemps ignorée. Les opérations menées par les autorités françaises se sont en effet traduites par des massacres de masse, des déportations et des dépossessions brutales dont le bilan humain a été dramatique. Selon les travaux actuels, il est probable que l’Algérie a perdu durant les années de la conquête française pas moins d’un tiers de sa population. Le Président Emmanuel Macron l’a d’ailleurs reconnu, en considérant en 2017 que la conquête française de l’Algérie avait constitué un « crime contre l’humanité ». Il peut dès lors sembler étonnant que le maire et la première adjointe de Chambéry puissent se joindre à la commémoration de ce que les autorités françaises définissent comme un « crime contre l’humanité ».

Par ailleurs, la commémoration de la bataille de Sidi Brahim à laquelle vous avez assisté renvoie à la célébration de la mémoire du lieutenant-colonel Lucien de Montagnac, dont les historiens ont depuis longtemps établi qu’il avait constitué l’un des chefs de guerre français les plus cruels – et par ailleurs les moins obéissants aux ordres de son propre gouvernement. Publiée en 1885, sa correspondance ne constitue qu’une longue apologie de crimes de guerre, faite par un homme aux convictions militaristes et racistes, qui reconnaît sa responsabilité dans de nombreux massacres et d’exécutions sommaires. Un passage fréquemment cité de sa correspondance résume sa pensée : « Voilà comment il faut faire la guerre aux Arabes : tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger des bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs ; en un mot en finir anéantir tout ce qui ne rampera à nos pieds comme des chiens ». Pensez-vous qu’il soit raisonnable que le maire et la première adjointe de Chambéry aillent commémorer la mémoire d’un homme qui ne constitue qu’un criminel de guerre ? Je peux concevoir que vous n’étiez pas conscients de la réalité qui se cache derrière cette commémoration de la bataille de Sidi Brahim. Désormais que vous en êtes informés, j’espère que vous renoncerez à vous associer à la célébration des crimes de guerre de Lucien de Montagnac et plus généralement de ce crime contre l’humanité qu’a constitué la conquête française de l’Algérie Dans cet espoir, je vous prie, monsieur la maire et madame la première adjointe, de recevoir mes cordiales salutations. Laurent Ripart Photo 1 : n'était pas affichée lors de cette commémoration : légende " Pour chasser les idées qui m'assiègent parfois, je fais couper des têtes, non pas des têtes d'artichauts, mais bien des têtes d'hommes“ Lucien de Montagnac Photo 2 : Extrait d'un texte affiché rue de Boigne, sur la 1er tente de la commémoration,

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