La planification politique de la disparition de la paysannerie française arrive à sa dernière étape.

L’agriculture paysanne s’échoue sur le libre échange. Ce matin la Confédération paysanne a bloqué le péage de la Verpillère en Isère. La Cgt et l’Union syndicale Solidaires 38, les accompagnaient. Depuis maintenant deux semaines le mouvement de protestation des agriculteurs, n’a fait que grossir et menace depuis deux jours de bloquer la capitale. Parti de coordination de paysans du Sud-ouest, il a vite été rejoint et dirigé par les syndicats productivistes de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs, qui dictent, depuis des décennies la politique agricole de la France. D’autres syndicats comme la Coordination rurale (1) ou la Confédération Paysanne sont mobilisées tout en estimant que la FNSEA est dans un double jeu comme à son habitude.

Coincés entre de multiples augmentations des charges financières, (augmentation du gasoil) de règles normatives et de dossiers administratifs d’un côté, et de l’autre une concurrence déloyale organisée volontairement par l’Europe et la France, l’agriculture paysanne et les petits agriculteurs sont en France soumis à la loi d’airain du capitalisme agricole et de son outil majeur : Le Libre échange. Les conséquences sur ce monde paysan (et pour toute la population) est dramatique et tragique à la fois . Dans l’agriculture, le suicide représente chez les hommes comme chez les femmes la troisième cause de décès, avec 183 personnes /an. Le film de  Au nom de la terre, du réalisateur M. Bergeon, (interprété par Guillaume Canet) montre bien la dépression d’un éleveur pris dans la spirale du surendettement.

D’autre part c’est bien un vaste plan de licenciement qui a été décidé et planifié par les gouvernements successifs (France -Europe) et qui ne dit pas nom et se déroule inéxorablement en l’espace de 60 ans. Déjà en 1967 le grand sociologue Henri Mendras avait intitulé son ouvrage “ La Fin des paysans“ . Rationnalisation, financiarisation et industrialisation des cultures, remplacement des paysans par des chefs d’entreprises versus capitaliste industriel et financier sur le modèle fordiste (2) à l’image de Arnaud Rousseau président actuel de la FNSEA. Ce qui pouvait faire dire à Valéry Giscard d’Estaing, en 1977.« L’agriculture est le pétrole vert de la France. »

Le sociologue Henri Mendras écrivait en 1984 « Les événements m’ont donné raison : en une génération, la France a vu disparaître une civilisation millénaire, constitutive d’elle-même ». En 1946 les travailleurs de la terre était de 7,4 millions d’actifs, nombre qui s’est effondré au cours des « Trente glorieuses » , puisqu’en 1982, ils n’étaient plus que 1,6 million, pour finir (et ce n’est pas fini) à 496 000 selon le recensement agricole de 2020. En 40 ans ce sont près de 1 millions d’exploitation qui ont disparu. On peut dire aujourd’hui que c’est bien une prédation et une spoliation des terres qui a été opéré sciemment au profit des gros chefs d’entreprises qui font la fusion avec l’industrie agroalimentaire, l'industrie pétro-chimique dont ils sont parties prenantes, et qui a pour conséquence un empoisonnement généralisé pour l'ensemble de la population.

L’historien de l’environnement Christophe Bonneuil, qualifie la modernisation agricole de l’après-guerre comme une« prise de terres » : ce spécialiste de l’Anthro­pocène ajoute que l’agriculture passe à la même période d’un « métabolisme organique » à un « métabolisme fossile », fortement dépendant du pétrole, des engrais minéraux et des pesticides. Dans “Les Paysans dans la lutte des classes“  (Seuil, 1970), l’éleveur Bernard Lambert, raconte la prolétarisation des éleveurs : « Concrètement, on a vu apparaître de grandes firmes qui, dans le domaine des productions animales […] se mettaient à orga­niser la production des plus petits d’entre nous. » Il compare alors ces petits producteurs aux canuts Lyonnais rémunérés à la tâche, mais supportant seuls les risques de la production. Ce modèle nous fait entrer dans une économie agricole sans paysans, comme le disent les sociologues François Purseigle et Bernard Hervieu « Nous sommes dans une agriculture sans agriculteurs » .(3)

Le cancer du Libre échange Dans son ouvrage “La mondialisation : destruction des emplois et de la croissance “(1990), Maurice Allais, (1911-1988) polytechnicien, prix Nobel d’économie (1988 ), critique de la mondialisation, tout en étant favorable au libre-échange uniquement à l'intérieur de groupes d'États homogènes économiquement, dénonce l'ouverture des barrière douanière entre pays à fortes disparités de développement. « Ce livre est dédié aux innombrables victimes dans le monde entier de l'idéologie libre-échangiste, idéologie aussi funeste qu'erronée, et à tous ceux que n'aveugle pas quelque passion partisane … la mondialisation ne peut qu'apporter partout instabilité, chômage, injustices » et il ajoute dans le même ouvrage  « la mondialisation généralisée n'est ni inévitable, ni nécessaire, ni souhaitable ».

Aujourd’hui, en plus de la concurrence intra-européenne très vive, les Etats, dans une planification mondialisé s’entendent pour imposer, depuis plus de 20 ans une multiplication des traités de libre échange, très agressif. Le dernier en date a été ratifié avec la Nouvelle Zélande (novembre 2023 ) Pour la confédération paysanne « La colère et les manifestations d’agriculteurs et d’agricultrices sont légitimes car c’est leur avenir à court terme qui est en jeu. De manière moins visible et tout aussi importante, c’est l’enjeu de la qualité et de l’autonomie qui se joue. Pour contenter quelques uns, un peu plus de libéralisme au détriment du reste serait une solution pour calmer les esprits et le business reprendra comme hier. Mais pour contenter l’intérêt général et rendre la vie de paysans désirable et sécuriser leur alimentation, il faut cesser de brader notre agriculture contre la vente d’Airbus, de médicaments, de voitures ou de satellites…" (ou de minerais rare NDLR). On ne peut pas non plus échapper à la question que doivent se poser les “citoyens-consommateurs“ en conscience : que doit-on produire ? Que doit-on consommer ? Avec quelles valeurs et dans quelles conditions ? En prenant en compte les conditions de vie de l'ensemble des habitants et des population de notre planète. Rappelons deux choses en Janvier 2025 auront lieu les élections aux Chambres d'Agricultures. Sans oublier que la guerre de l'OTAN-Ukraine contre la Russie et les différentes sanctions à l'encontre de ce pays, et la spéculation des multinationales, n'ont fait que renforcer les déséquilibres déjà existant. A Moscou, Poutine doit se marrer de voir la capitale bloqué. A qui profite les guerres ? Sûrement pas aux peuples. Nous nous trouvons bien, aujourd'hui à la croisée des chemins ou d'un côté une population de plus en plus importante n'accepte plus d'être agressé par les conséquences d'une agriculture productiviste pétro-chimique et toxique, et dont une partie se mobilise activement pour arrêter ce processus violent et destructeur du vivant et de l'autre côté les représentants de ces agriculteurs productivites qui se sentent agressé par la nécessité de changer de modèle de production, qui sont dans le déni de la situation objective, prisonnier de leur logique qu'ils pensent pérenne, comme elle le fût d'après eux, depuis des millénaires, et qui sont, soit disant, aveugle à la disparition de la diversité du vivant qui s'opère sous leurs propre yeux. Si la majorité d'entre eux, qui sont conscient de cette situation et l'avouent même dans le privé, ne sortent pas publiquement des positions idéologiques et nihilistes de leurs dirigeants, nous iront de plus en plus vers l'affrontement. Ne nous étonnons donc, pas que le débat et les actions soient violentes des côtés, ( et nous en sommes qu'au début) puisque l'enjeu est la survie. Pour finir nous vous proposons in extenso la publication des solutions proposées par la Confédération Paysanne.

La Confédération Paysanne Savoie veut : -que l’économie agricole soit protégée de tout dumping.
 -Conserver l’allègement fiscal sur le gnr et transférer des taxations environnementales sur les transport internationaux
 -l’arrêt définitif des négociations de l’accord de libre-échange UE-Mercosur, un moratoire sur tous les autres accords commerciaux en négociation et un réexamen de tous les accords en vigueur, concernant la concurrence déloyale engendrée par cette politique de libre-échange, y compris au sein de l’Union Européenne.
 -la mise en place de protocoles de soins et la prise en charge des coûts face aux nouveaux parasites ou nouvelles maladies comme la MHE
 
 


-la désindustrialisation des process alimentaires et le renforcement des capacités de transformation et de commercialisation locale pour reconstruire une réelle souveraineté alimentaire et la créations d’emplois locaux
 un soutien et une généralisation de l’élevage plein air. Modèle ancestral, respectueux des animaux et moins énergivore que l’élevage en claustration.
 -Un soutien fort aux agriculteurs bio et la valorisation en filière locale dans la restauration collective scolaire.
 -l’application pleine et entière de la loi Egalim pour les prix de ventes
 -l’instauration d’un prix minimum d’entrée pour arrêter la concurrence déloyale internationale
 la fin de l’artificialisation des sols.
 -Une gouvernance de la gestion de la ressource en eau plus démocratique


Notes : (1) Philippe Arnaud, 47 ans, dirigeant d'entreprise dans l'agriculture a été un des trois fondateurs de ce syndicat il était aussi secrétaire de la fédération départementale du RPF (Rassemblement pour la France), parti à la droite de la droite en 2000. La coordination Rurale contrôle les Chambres d’agriculture de la Vienne, de la Haute-Vienne et du Lot-et-Garonne, toutes trois implantées en région Nouvelle Aquitaine, et se sont récemment regroupées pour constituer l’Association des Chambres d’agriculture de Nouvelle Aquitaine. Depuis deux décennies, le syndicat CR contrôle la Chambre d’agriculture du Lot et Garonne avec 60 % des suffrages lors des derniers scrutins, avec comme président depuis 2013 Serge Bousquet-Cassagne, dit “Bousquet-Castagne“ président de la coordination rurale 47 . C’est lui qui a construit illégalement la retenue d’eau de 20ha dit du “lac de Caussade“ , devant des gendarmes et un Etat impuissant à stopper cette action. Il soutient la suppression du RSA, des allocations chômage et du SMIC pour « remettre les Français au travail »

En représailles à la participation de la secrétaire nationale d'Europe Écologie-Les Verts, Marine Tondelier à la manifestation contre les mégabassines de Sainte-Soline, il lui interdit de pénétrer sur le département du Lot-et-Garonne1. Le 29 mars 2023, il la menace via un appel téléphonique, en lui disant « Ma poule tu t’es encore échappée. Je vais t’attraper et te plumer… ». Un de ses fils a été le secrétaire départemental du Rassemblement National pendant six ans. Nicolas Lacombe, maire de Nérac et 1er Vice président du département du Lot et Garonne voit dans la CR nouvelle mouture l'influence des jeunes membres« La vieille garde de la Coordination rurale dont fait partie Serge Bousquet-Cassagne est débordée par la nouvelle génération, beaucoup plus radicale et moins subtile, juge-t-il. Si le syndicat continue sur cette pente, il va perdre beaucoup d'influence. Ce qu'il donne à voir en ce moment est détestable et très mal compris. »

(2) 2 Ne pas oublier que le modèle de production de Henri Ford (1863-1947) appliquant l’organisation scientifique du Travail de l’ingénieur Winslow Taylor (1856-1915) lui a été inspiré de sa visite, qu’il a effectué, enfant, dans les abattoirs de Chicago, qui fonctionnaient déjà sous le principe du système de la chaîne. C’est bien l’abattage industriel des bovins qui a inspiré tous le système de la production et de la consommation de masse du système capitaliste. (3 ) François Purseigle, Bertrand Hervieu, ‘Une agriculture sans agriculteurs. La révolution indicible“ Paris, Les Presses de Sciences Po, 2022,

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