Mensonges nucléaristes et corruption de la démocratie

Le mensonge est une pratique récurrente des responsables de l’industrie nucléaire. En voici deux exemples récents, particulièrement grotesques et choquants, prononcés sous serment devant une commission d’enquête parlementaire. À la demande du groupe parlementaire Les Républicains, l’Assemblée nationale a organisé, entre octobre 2022 et mars 2023, une «commission d’enquête sur les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France». L’examen de la présentation des objectifs de cette commission met en évidence une orientation biaisée par l’a priori du Président Schellenberger : l’énergie nucléaire serait un facteur favorable à « l’indépendance » et à « l’autonomie » énergétique de la France, deux notions que les membres de la commission n’ont pas définies. Sans ces définitions et sans vérification du bien-fondé de l’a priori du Président, la porte était grande ouverte aux mensonges nucléaristes. Et l’énoncé de ceux-ci, par des personnes ayant prêté serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, n’a suscité aucune volonté de vérification à la hauteur des mensonges. Premier mensonge couvert par une présentation fallacieuse des statistiques officielles Lors de son audition ouverte à la presse, le 19 janvier 2023, le Directeur Exécutif du Groupe EDF en charge de la Direction du Parc Nucléaire et Thermique, indiquait aux député-e-s : « Alors que la France dispose de très peu de ressources énergétiques fossiles exploitées sur son territoire, le développement du programme nucléaire a permis de fortement limiter la dépendance énergétique de notre pays. En effet, notre taux d’indépendance est ainsi passé de 23,9 % en 1973 à 55 % en 2021. »(1.)

Pourtant, tout l’uranium nécessaire au fonctionnement des réacteurs nucléaires français, est importé depuis 2003. Les seules sources d’indépendance énergétique sont désormais les énergies renouvelables. Entre 1973 et 2021, le taux d’indépendance énergétique de la France est passé de 23,9% à 13,5%, soit une division par 1,77. Le Président et le Rapporteur de la Commission d’enquête en avaient été informés dès le 7 décembre 2022 par l’envoi d’un document détaillé dont ils avaient accusé réception (2) Et le bilan énergétique de la France pour 2020, en ligne sur le site du ministère de la transition écologique (3), comporte un encadré qui explique très bien le détournement de toute logique qui permet de faire passer l’indépendance énergétique de la France de 14% (valeur réelle pour 2020) à la valeur fictive de 55,5% pour la même année. L’audition des responsables de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) par la commission d’enquête, le 17 novembre 2022, avait d’ailleurs confirmé ce fait indiscutable : la France est dépendante à plus de 80% des importations d’énergie. Les députés présents ce jour-là n’ont sans doute pas entendu ou pas compris. Et ceux présents le 19 janvier n’ont sans doute pas osé demander, au Directeur exécutif d’EDF, par quelle mystérieuse transmutation la branche de l’entreprise qu’il dirige transforme de l’uranium importé en totalité en production d’énergie nationale. Ils se sont contentés de le questionner sur des sujets sans rapport direct avec l’objet de la commission d’enquête parlementaire.

Deuxième mensonge couvert par l’ignorance des député-e-s Le même Directeur indiquait ensuite aux député-e-s : « Un phénomène inédit, à savoir la corrosion sous contrainte des tuyauteries de circuits auxiliaires du circuit primaire, perturbe depuis plus d’un an le fonctionnement du parc nucléaire et pèse fortement sur sa disponibilité ». (4) Et il ajoutait, suite à une demande de précisions du Président de la Commission : « Enfin, la troisième opération concerne la corrosion sous contrainte, qui correspond à un événement totalement inédit. Il n’a aucun lien avec le vieillissement de la centrale et avec le grand carénage. Il s’agit d’un problème tout à fait sérieux et d’un défaut générique redouté depuis l’origine par notre maison. En effet, notre parc est très standardisé. Dès lors, lorsque surgit un défaut qui n’avait pas été prévu, il est possible qu’il se retrouve sur chacun de nos réacteurs.». (5) Si ce problème est redouté depuis l’origine par la « maison » c’est donc qu’il était prévisible, notamment parce qu’il a été décrit dans des publications états-uniennes, datant des années 1970, et que la plupart des réacteurs en service actuellement en France ont pour modèles des réacteurs américains conçus et construits par la société Westinghouse. Ce n’est donc pas un « phénomène inédit » ni imprévisible, juste un « aléa » qu’EDF n’a pas jugé nécessaire d’anticiper. Ce phénomène a bien été identifié il y a de nombreuses années. Un dossier de l’association Global Chance, publié en juin 2022 indique à ce propos : « Il est frappant de constater la similitude des interrogations et incertitudes manifestées en 1975 aux Etats-Unis et celles que nous pouvons constater en France en 2022. ». (6) (4) Page 7, 4ème paragraphe du compte-rendu d’audition (voir le lien de la note N°1). (5) Page 9, 2ème paragraphe du compte-rendu d’audition (voir le lien de la note N°1)

Un dossier de « La Gazette nucléaire », publication du Groupement de Scientifiques pour l'Information sur l'Énergie Nucléaire (GSIEN), fait également le point dans son N° 296 d’avril 2022 sur ce « phénomène » qui n’a rien d’inédit. (7) Le Directeur Exécutif du Groupe EDF ne pouvait ignorer tout cela et a donc menti aux député-e-s. Conséquences de ce type de mensonges La « monoculture nucléaire » pratiquée par la France depuis les années 1970 pour sa production d’électricité et la cécité sur les risques qui l’accompagne, provoquent des catastrophes industrielles. La combinaison d’une pandémie mondiale et de « défauts génériques » sur les réacteurs nucléaires a conduit à l’indisponibilité de plus de la moitié de la puissance du « parc » nucléaire français, pendant une grande partie de l’année 2022. Heureusement les réseaux électriques interconnectés à l’échelle européenne permettent à la France de disposer d’une partie de la production d’électricité de nos voisins européens (ils disposent de marges de puissance que nous n’avons pas). Cette production plus sûre, plus fiable et plus prévisible que le nucléaire a permis à la France de passer sans encombre l’hiver 2022- 2023. Il faut dire que la relative douceur de l’hiver a limité le pic d’appel de puissance hivernal dû à la présence massive du chauffage électrique.

Mais le Président et le Rapporteur de la commission d’enquête se moquent des faits et de la double dépendance à une énergie entièrement importée et aux aléas prévisibles de technologies en partie importées. Ils préfèrent rester dans leur bulle nationaliste et nucléariste, ignorer les mensonges des nucléocrates et rêver à voix haute à la « relance » du nucléaire. L’indépendance énergétique étant inatteignable avec cette énergie elle devient sous leur plume une « notion utopique » (8 ) qu’il convient de remplacer par « la notion de souveraineté énergétique, [qui] a montré tout son sens et tout son intérêt, entendue comme la liberté de définir sa politique et de choisir ses options énergétiques, la réduction de nos dépendances, la résilience de notre système énergétique face aux crises. ». Lorsque des représentants de la nation transforment ainsi la réalité il y a bien corruption de la démocratie.

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