Francis Chateauraynaud, sociologue inventeur du terme “Lanceur d'Alerte"
Nous avons réalisé ce reportage lors des Rencontres des Lanceurs d'Alerte de novembre 2023.
Il n’est pas inutile de rappeler que comme le besoin de justice et d’égalité, la recherche de la vérité et d’alerter ces concitoyens face à toutes les dominations est consubstantiel à l’être humain et que l’histoire de l’humanité a prouvé que rien ne pouvait l’arrêter.
Sans pouvoir être exhaustif, nous citerons quelques dates :
Au XVII ème siècle, face aux dangers de la déforestation, de l’exploitation ; agricole intensive, des gisements de mines, de l’extermination des animaux, sur l’Ile Maurice, Île Bourbon (La Réunion) St Hélène, Tobago, ou en Inde, la communauté scientifique de l’époque, par exemple Philibert de Commerson, botaniste, Pierre Poivre, gouverneur et Bernardin de St Pierre, vont informer et dénoncer ces situations. Ces actions aboutiront en 1769 à la mise en place du premier appareil législatif de protection concernant la “nature“.
En 1863, l’US False Claims Act permet aux particuliers d’engager une action et de recevoir une récompense lorsqu’ils la mettent en œuvre.
1945 Rachel Carson dans un livre, dénonce le caractère mortel du DDT, son livre ne trouvera aucun éditeur.
1972-2012 Les Sommets de la terre
1988 Le G.I.E.C, Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat
Ainsi depuis des siècles des citoyens courageux nous alertent. Depuis maintenant plus de 20 ans la notion de “lanceurs d’Alerte“ a été diffusé dans la société. Que ce soit au cinéma avec l’excellent film de Steven Soderbergh “Erin Brockovich“ où dans la vraie vie avec les révélations d’Edward Snowden, d’Irène Frachon (le Médiator (1) Antoine Deltour (Evasion fiscale au Luxembourg) Valérie Murat (Vins de Bordeaux) Ines Leraud (Les Algues Vertes) et de bien d’autres citoyens restés anonymes et qui ont fait avancé la cause de la vérité en le payant souvent très cher.
« En accédant à la légitimité, cette parole pose la question de celle des autorités. » Comme l’affirme F. Chateauraynaud le sociologue inventeur de la notion française “Lanceur d’Alerte“
L’importance des lanceurs d’alerte est reconnue par de nombreux pays et organismes internationaux.
Certaines de ces normes étrangères s’appliquent même en France. C’est le cas de la loi américaine Sarbanes-Oxley , adoptée le 30 juillet 2002, qui impose aux sociétés cotées aux États-Unis (et qui concerne par conséquent les filiales, mêmes étrangères, des sociétés américaines cotées, ainsi que les sociétés étrangères cotées aux États-Unis) la mise en place d’un dispositif de transmission confidentielle et anonyme par les salariés de leurs préoccupations relatives à des manquements aux obligations déontologiques.
(dite loi SOX.)
En 2009 une cinquantaine de pays avaient, d’une façon ou d’une autre, intégré l’alerte éthique dans leur législation (2)
En France on peut citer :
1996 Création du terme “Lanceur d'Alerte“ par Francis Chateauraynaud
Le terme va désigner : un MOUVEMENT (Lancer) et un CONTENU
2013 la loi Blandin dédiée aux lanceurs d’alertes sanitaires ou environnementales. Un texte qui institue notamment la Commission Nationale de Déontologie et des Alertes en matière de Santé publique et d’Environnement (CNDASE).
Loi du 16 avril 2013 (Sapin 1) « loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ».
Régression :
En 2015, la commission spéciale de l'Assemblée sur la loi Macron a intégré "la protection du secret des affaires" dans le code du commerce, notion qui n'existait pas jusqu'ici, afin de prévenir les atteintes que pourraient subir les entreprises dans ce domaine.
Le texte, voté par l'opposition comme la majorité, pose le principe général de l'interdiction de violer le secret des affaires, et prévoit de punir quiconque prend connaissance, révèle sans autorisation ou détourne toute information protégée au titre du secret des affaires d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 375.000 euros d'amende. La peine pourra être portée à sept ans d'emprisonnement et 750.000 euros d'amende en cas d'atteinte à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France. Les députés ont repris les dispositions d'une proposition de loi socialiste qu'ils ont incorporées par amendements au projet de loi sur la croissance et l'activité du ministre de l’Economie.
Un amendement ouvre ainsi la possibilité d'un procès à huis clos en introduisant dans le code de procédure pénale la mention du secret des affaires comme condition pour réclamer cette configuration. Il s'agit de limiter la publicité des débats afin de ne pas aggraver les conséquences de la violation d'un secret des affaires.
Les députés avaient adopté un amendement de la députée socialiste de Chambéry, Bernadette Laclais qui visait à autoriser les sociétés à demander la non-publicité de leurs comptes annuels "afin de protéger les entreprises françaises, ces contraintes de publications n'existant pas dans de nombreux pays ». Cet amendement fût adopté contre l'avis du gouvernement et du rapporteur socialiste qui ont notamment mis en avant un risque de contradiction avec le droit européen sur ce sujet.
Un amendement à la loi de 1881 sur la presse précise que le secret des affaires n'est pas opposable au journaliste dans une procédure de diffamation.
La loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016 (Sapin 2) relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a abrogé deux articles de la loi de 2013, réduisant ainsi les missions qui étaient dévolues à la CNDASPE.
la loi Sapin 2 a dépouillé la CNDASE de son pouvoir de transmettre les alertes dont elle est saisie aux ministres compétents et d’en assurer le suivi ».
Ces dispositions ont été critiquées par Marie Christine Blandin
Par ailleurs, la protection du lanceur d'alerte a été confiée au Défenseur des Droits.
Loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte Sylvain Waserman (Modem) .
Elle transpose une directive européenne du 23 octobre 2019 et va même plus loin.
La Tvnet Citoyenne a réalisé un documentaire d'1h15 "Lanceurs d'Alerte“
https://www.youtube.com/watch?v=X7PZQj4XajM
(1) L’Affaire du Médiator
Le Mediator est accusé d’avoir causé la mort de 1 500 à 2 100 personnes, sans compter celles qui souffrent encore dix ans après des conséquences des effets secondaires.
À la date d'avril 2019, les laboratoires Servier versent plus de 115 millions d'euros aux victimes du Mediator : 3 600 patients reçoivent une offre d'indemnisation
En septembre 2019, le laboratoire saisit le tribunal administratif pour demander à l’État le remboursement de 30 % des sommes déjà versées aux victimes pour cette indemnisation
Le mercredi 20 décembre, 2023, à l'issue du procès en appel du scandale sanitaire du Mediator, les laboratoires Servier ont été condamnés à une amende de plus de 9 millions d'euros pour "tromperie aggravée" et "homicides et blessures involontaires".
A ce titre, il devra rembourser plus de 415 millions d'euros aux caisses d'assurance-maladie et aux mutuelles, au titre du préjudice financier, plus d'un million d'euros au titre du préjudice de désorganisation et plus de 5 millions d'euros en frais de procédure.
Le groupe pharmaceutique, qui produisait cet antidiabétique également prescrit comme coupe-faim, accusé d'avoir provoqué de graves lésions cardiovasculaires, a également été reconnu coupable d'escroquerie, délit pour lequel il avait été relaxé en première instance. Le groupe Servier, (CA de 5 milliards€) qui a donc été reconnu coupable de tous les délits qui lui étaient reprochés, a immédiatement annoncé son intention de se pourvoir en cassation.
Lors de la présentation en détail du jugement, le président de la cour, Olivier Géron, a souligné que le laboratoire avait "privilégié son intérêt financier sur l'intérêt des patients ».
(2) SCPC, Rapport annuel 2011, La Documentation française, 2012
Sources : France Info (20/12/2023), Le Point (Janvier 2015), Valérie Péan “Une loi qui ne file pas droit ?“ Dans Sésame 2018, Lionel Benaiche “Le droit de l'alerte en France“ Dans Les Tribunes de la santé n°45 (2014), Francis Chateauraynaud “Alerte et lanceurs d’Alerte“ Que sais-je ? PUF
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