CHRONIQUE DE LA FRANÇATOMIQUE : ÉNERGIE NUCLÉAIRE ET CLIMAT, LE GRAND MENSONGE

Trois représentants d’États détenteurs d’armes atomiques (Etats-Unis, Angleterre, France) ont profité de la COP 28 pour tenter de sauver leurs industries nucléaires en perdition, attirant dans leur orbite une vingtaine de pays (1) . Ainsi le président Macron n’a rien trouvé de mieux à proposer que de tripler la production mondiale d’énergie nucléaire d’ici 2050. On se demande bien comment il compte faire alors que la Françatomique est empêtrée dans trois chantiers désastreux (l’EPR de Flamanville, le réacteur expérimental Iter et le réacteur de recherche Jules Horowitz) dont les malfaçons, les délais de construction et les coûts ne cessent d’augmenter. Les États-Unis et l’Angleterre ne font pas mieux pour leurs chantiers en cours.

Dans le même temps nous apprenions que l’ensemble des réacteurs nucléaires en fonctionnement dans le monde en 2022 avait fourni 9,2% de la production totale mondiale d’électricité. (2) C’est le niveau relatif le plus bas observé depuis près de 40 ans. C’est aussi la production la plus basse (2 546 TWh) depuis le maximum absolu de 2006 (2 660 TWh). L’électricité ne représentant que 20 % de toutes les énergies consommées, la production nucléaire ne contribue donc qu’à moins de 2% de l’approvisionnement énergétique mondial. Un résultat si dérisoire relève de la catastrophe économique, après 70 ans de soutien massif, par les États les plus puissants du monde, à l’industrie nucléaire militaro- civile. Tripler la production d’énergie nucléaire d’ici 2050 ? Cela signifierait augmenter encore les soutiens publics déjà excessifs et leurs effets délétères sur l’économie mondiale. Sans parler des risques de catastrophes industrielles, sanitaires, écologiques et humanitaires.

A l’inverse, arrêter immédiatement la totalité des réacteurs nucléaires en service actuellement dans le monde ne poserait pas de problème global d’approvisionnement énergétique, ni ne contribuerait à aggraver le réchauffement climatique. La réaffectation des soutiens publics, accordés à l’industrie nucléaire, pourrait même financer sans problème une réduction globale des consommations dépassant largement les 2 %. (3) L’arrêt du nucléaire serait donc a minima « neutre en carbone ». Il permettrait aussi d’atténuer le réchauffement climatique provoqué par les pays fortement nucléarisés comme la France. Car contrairement à ce qu’affirment les nucléaristes, les centrales nucléaires réchauffent considérablement les portions de planète sur lesquelles elles sont implantées. L’explication est simple et relève de principes physiques bien connus, ceux de la conservation de l’énergie et de sa dégradation ultime en chaleur. Ces lois de la physique s’appliquent aussi bien à la combustion des énergies fossiles et de la biomasse qu’à la fission nucléaire ou à la géothermie profonde. Toutes les émissions de chaleur qui en résultent (qualifiées « d’anthropiques » puisqu’elles sont dues à une activité humaine) s’accumulent dans l’air, dans l’eau et dans les sols. Le réchauffement de ces milieux constitue bien un réchauffement du climat local mais aussi régional et même global lorsque les masses d’air et d’eau réchauffées se déplacent à longue distance.

Or les centrales nucléaires, un des moyens les moins efficaces pour transformer de la chaleur en électricité, émettent beaucoup de chaleur par unité d’électricité produite. Le ministère de l’Écologie l’indiquait très clairement dans une publication de juillet 2017. (4) : «L’intensité énergétique primaire, qui intègre les pertes d’énergie lors de sa transformation ou de son transport, est, quant à elle, plus élevée en France (101 tep par M$ 2011 de PIB) qu’en Allemagne (86 tep par M$ 2011 de PIB). Cela s’explique en grande partie par le poids plus important de l’électricité dans le bouquet énergétique final ainsi que par le recours plus élevé au nucléaire pour produire cette électricité en France. En effet, d’une part, la production d’électricité s’accompagne généralement de pertes de chaleur importantes et, d’autre part, ces pertes sont en moyenne relativement plus élevées dans les centrales nucléaires que dans celles utilisant des combustibles fossiles et notamment celles de cogénération, plus développées en Allemagne qu’en France.»

En effet, d’une part, la production d’électricité s’accompagne généralement de pertes de chaleur importantes et, d’autre part, ces pertes sont en moyenne relativement plus élevées dans les centrales nucléaires que dans celles utilisant des combustibles fossiles et notamment celles de cogénération, plus développées en Allemagne qu’en France.» Quelles que soient les causes (naturelles et anthropiques) du réchauffement climatique global, le recours à l’énergie nucléaire ne peut que l’aggraver par ses émissions de chaleur directes, immédiates et à plus long terme (combustibles usés). Une étude de l’université de Sussex a d’ailleurs montré que, dans les pays qui ont une politique favorable au nucléaire, les émissions de gaz à effet de serre sont réduites à un rythme plus faible (voire pas du tout réduites) que dans les pays qui ont une politique en faveur des renouvelables. Nucléaire et renouvelables s’excluent mutuellement. (5)

Plusieurs études scientifiques ont aussi montré que les émissions de chaleur résultant de l’utilisation des énergies non renouvelables et de stock (fossiles, déchets issus du pétrole, énergie nucléaire, mais aussi bois énergie et géothermie profonde) réchauffent le climat localement mais aussi à plus large échelle et dans des proportions qui n’ont rien de négligeable. En France, pays dont la part du nucléaire dans la production d’électricité est la plus élevée au monde, l’effet des émissions de chaleur des centrales nucléaires est considérable. Par exemple, les 14 réacteurs répartis dans 4 centrales nucléaires refroidies par les eaux du Rhône (Bugey, Saint Alban, Cruas et Tricastin) sont responsables à 86 % du réchauffement des eaux du fleuve. C’est EDF qui l’a écrit dans une étude publiée en mai 2016. (6)

Dans la synthèse de cette « étude thermique du Rhône » on peut lire que les rejets de chaleur des centrales situées entre Saint-Vulbas (Bugey) et Aramon (à l’aval de Tricastin) ont provoqué en moyenne annuelle une augmentation de la température des eaux du Rhône de 1,2°C sur une augmentation totale de 1,4°C comparaison entre la période 1988-2010 où tous les réacteurs actuels étaient en fonctionnement et la période 1920- 1977 où pratiquement aucun n’était en service). Ce réchauffement n’est en outre que la partie visible du problème car 6 des 14 réacteurs nucléaires situés en bord de Rhône sont équipés de tours de refroidissement. Celles-ci évacuent la majeure partie de la chaleur dans l’air sous forme d’eau évaporée. Pour la France entière, les réacteurs nucléaires en fonctionnement en 2021 ont émis une quantité totale de chaleur de 1 150 TWh 7 soit 43,3 % du total des émissions de chaleur anthropiques du pays. Cela correspond à près de 3 fois les consommations totales d’énergie finale pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire de l’ensemble des logements en France la même année (386 TWh).

La puissance thermique moyenne correspondante (131 000 MW), rapportée à la surface du pays (551 695 km2), est 4,75 fois plus élevée que l’accroissement annuel moyen du déséquilibre énergétique de la Planète (0,05 W/m2) . (8) Pourtant, une poignée de chefs d’État (9) a décidé, quels qu’en soient les coûts et les conséquences de tous ordres, d’utiliser à grande échelle et, pour certains, d’exporter des centrales nucléaires, ou les technologies qui permettent de les construire. C’est le choix de ceux qui se prennent pour les « maîtres du monde » et prennent en otages leurs populations, les dirigeants des autres pays et la population mondiale. La préservation du climat est le cadet de leurs soucis. Mais ils ont plus ou moins réussi à faire croire que la faiblesse supposée des émissions de CO2 de leurs industries nucléaires respectives rendait celles-ci vertueuses. Comme si les armes atomiques étaient un facteur de paix. Comme si le CO2 était la seule cause de réchauffement climatique. Comme si l’industrie nucléaire militaro-civile pouvait exister sans consommation de pétrole, de charbon, de gaz. Comme si, enfin, les émissions de chaleur n’étaient pour rien dans le réchauffement climatique.

Tripler la production mondiale d’énergie nucléaire d’ici 2050, si c’était possible, ce serait aussi tripler : - l’extraction de minerai d’uranium et les transports de matières fissiles, les pollutions radioactives et chimiques, la production et le transport de déchets radioactifs, les surfaces et volumes occupés par les déchets radioactifs, les risques de prolifération et d’accidents nucléaires .... et leurs conséquences sur la santé (cancers et décès radio-induits, altérations génétiques, autres maladies), - les conflits d’usage pour l’accès à l’eau, à la terre, aux compétences humaines et à l’argent public ou privé .... et leurs conséquences sur l’économie globale, - les émissions de chaleur de l’industrie nucléaire, facteur aggravant du réchauffement climatique global.

Dans ces conditions, prétendre que l’énergie nucléaire est une solution au réchauffement climatique, comme le font les gouvernements des États nucléaristes, l’industrie nucléaire et une large partie de ceux qui en vivent, est au mieux une grave erreur, au pire un grand mensonge.

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